Qu’est-ce que les turbulences de sillage et comment les éviter ?
La croissance du trafic aérien mondial s’est accompagnée par l’augmentation du risque d’interaction entre un aéronef et une turbulence de sillage générée par un autre aéronef. Ce risque, présent pendant toutes les phases du vol, constitue désormais l’un des principaux problèmes auxquels sont confrontés les pilotes et les contrôleurs de la circulation aérienne.
Cet article, rédigé par l’équipe de consultants en sécurité de Menkor Aviation, vise à sensibiliser sur le danger des turbulences de sillage et sur les techniques d’évitement et de récupération.
Qu’est-ce qu’une turbulence de sillage ?
Chaque avion en vol génère des turbulences de sillage derrière lui. Ces turbulences sont le fruit de la production de portance par les avions, résultant en la formation de deux tourbillons marginaux et contrarotatifs aux extrémités des ailes. Ces turbulences peuvent durer jusqu’à 3 minutes après le passage d’un aéronef. La force, la durée et la direction des tourbillons peuvent affecter d’autre aéronefs qui les rencontrent.
Une turbulence de sillage impose un effet de roulis intempestif à un aéronef qui la rencontre, causant de l’instabilité et des dommages à l’aéronef ainsi que la possibilité de blessure pour les pilotes et les passagers. Les pilotes doivent toujours être conscients de la possibilité d’une rencontre avec des turbulences de sillage générées par un autre avion. Ils doivent considérer ce risque à chaque phase de vol et adapter leur trajectoire et leur altitude en conséquence.
Bien que les contrôleurs aériens régulent les distances de séparation entre les aéronefs, la possibilité d’une rencontre avec une turbulence de sillage est constante et ne doit pas être ignorée.
Les caractéristiques des turbulences de sillage
Comment le vortex est-il généré ?
Lorsqu’un avion vole, un différentiel de pression sur la surface des ailes génère de la portance. C’est cette portance qui permet à un avion de voler. Une pression basse est présente sur la surface supérieure de l’aile et une pression plus élevée est présente sous l’aile. Cette différence produit un enroulement du flux d’air à l’arrière de l’aile, à l’origine d’un sillage de masses d’air tourbillonnantes.
La circulation du vortex sur l’avion se fait vers le haut et autour des extrémités des ailes. Les tourbillons qui en résultent sont espacés l’un de l’autre par à peu près la même distance que la distance entre les extrémités des ailes, c’est-à-dire par l’envergure de l’avion. Ils dérivent avec le vent et ont tendance à perdre un peu d’altitude. Ainsi, en cas de rencontre avec des turbulences de sillage, une légère prise d’altitude et un changement de position latéral permet d’en sortir.
La plupart des avions de ligne sont équipés de winglet, des ailettes verticales situées au bout des ailes. Leur fonction principale est d’augmenter le rendement énergétique des avions en améliorant le rapport portance / traînée. Ces winglets permettent aussi de réduire la taille et la force du vortex généré par l’avion, en particulier lors des phases de vol à vitesse lente (atterrissage et décollage).
De quoi dépend la force d’un vortex ?
La force du vortex dépend de la vitesse et du poids de l’avion, ainsi que de l’envergure et de la forme de ses ailes. Les caractéristiques d’un vortex sont aussi influencées par l’extension des volets ou des aérofreins.
De manière générale :
– La force du vortex augmente proportionnellement avec la masse de l’aéronef,
– La force du vortex augmente graduellement lors de la diminution de la vitesse en vol,
– La force du vortex augmente lorsqu’un avion est propre et lisse.
Quel est le comportement d’un vortex durant les phases de décollage et d’atterrissage ?
C’est lors des phases d’atterrissage et de décollage que le vortex est le plus puissant et le plus dangereux.
Lorsqu’un aéronef décolle, le vortex se créé au moment de la prise d’altitude. Il suit l’aéronef et s’élève au fur et à mesure que celui-ci prend de l’altitude.
Lorsqu’un aéronef s’approche du sol pour atterrir, entre 100 et 200ft, le vortex a tendence à se déplacer latéralement au-dessus du sol à une vitesse de 2 ou 3 nœuds (kts).
Un vent de travers diminue le mouvement latéral du vortex au vent et augmente le mouvement du vortex sous le vent. Ainsi, un vent léger avec une composante transversale de piste de 1 à 5 nœuds (selon les conditions) pourrait faire en sorte que le vortex au vent reste dans la zone de toucher des roues (TDZ) pendant un certain temps et accélérer la dérive du vortex sous le vent loin de la piste (éventuellement vers une piste adjacente s’il en existe une). De même, une condition de vent arrière peut faire avancer les tourbillons de l’avion précédent vers l’approche finale et TDZ.
Un léger vent arrière en quart de tour nécessite une prudence maximale, car il présente le pire des cas où un vortex de sillage pourrait plus vraisemblablement être présent le long de l’approche finale et de la TDZ. Les pilotes doivent être attentifs aux gros aéronefs au près de leur trajectoire d’approche et de décollage.
Quelles sont les caractéristiques d’une turbulence de sillage en croisière ?
La densité de l’air est réduite à haute altitude, c’est un facteur qui renforce les turbulences de sillage. Même si les vitesses sont plus élevées en croisière, cette densité d’air réduite peut entraîner une turbulence comparable à celles produites lors des phases de départ et d’approche.
Les vitesses plus élevées en croisière font aussi que les turbulences de sillage mettent plus de temps à de désintégrer, ceci augmente la possibilité d’une rencontre avec un autre avion. À des altitudes élevées, les tourbillons des gros aéronefs descendent rapidement à une vitesse de plusieurs centaines de pieds par minutes (fpm), ils se stabilisent autour de 500 à 900 pieds en-dessous de l’avion. Ils perdent de leur force avec le temps et la distance derrière l’avion et finissent par se désintégrer notamment avec les turbulences atmosphériques.
Les conditions atmosphériques les plus dangereuses sont des vents légers, une faible turbulence atmosphérique et une faible stratification (atmosphère stable). Dans ces conditions atmosphériques, les tourbillons des avions lourds peuvent descendre à plus de 1000 pieds sous l’avion. Dans de rares cas, la turbulence de sillage peut même monter dans un courant ascendant ou lorsqu’elle rebondit sur une forte couche d’inversion où la forte couche d’inversion agit comme le sol.
Les réglementation sur les turbulences de sillage et sur les séparations minimales
La recatégorisation des catégories de turbulence de sillage (RECAT)
Les règles traditionnelles de séparation concernant les turbulences de sillage sont basées uniquement sur le poids de l’aéronef. Bien que très sûres, elles sont obsolètes et conduisent souvent à une trop grande séparation entre les avions dans de nombreux cas. Cela diminue la capacité des aéroports et entraîne des retards de trafic inutiles, tout en augmentant les coûts, la consommation de carburant et les émissions de Co2.
Pour réduire en toute sécurité les minima de séparation entre deux aéronefs, que ce soit au départ ou en approche finale, il faut tenir compte à la fois des turbulences de sillage générées par l’avion leader et de la résistance de l’avion qui suit.
Après des années de recherche approfondie et collaborative entre l’EUROCONTROL, la FAA, ainsi que des organisations de recherche dans l’industrie aéronautique, les experts ont conclu que la séparation requise entre certains aéronefs pouvait être réduite en toute sécurité.
Des recherches ont prouvé qu’en plus du poids, d’autres caractéristiques de l’avion telles que la vitesse et l’envergure, affectent également la force des turbulences de sillage généré ainsi que la réaction de l’avion qui les traverse. En utilisant ces informations, les avions ont été recatégorisés en six nouvelles catégories (de A à F).
La séparation améliorée pour les turbulences de sillage (eWTS)
La communauté internationale a continué à travailler sur les critères de catégorisation des avions pour la séparation des aéronefs. Le RECAT a été formellement adopté le 5 novembre 2020 comme norme acceptable dans le document ICAO 4444 PANS-ATM en tant que séparation améliorée pour les turbulences de sillage (enhanced Wake Turbulence Separation – eWTS).
En vertu des nouvelles dispositions de l’OACI et en fonction de leurs besoins opérationnels, les États peuvent choisir de continuer à utiliser la séparation de sillage traditionnelle (4 catégories de turbulence de sillage) ou, sous réserve de l’approbation par les institutions locale, les nouvelles séparations eWTS de l’OACI (7 groupes de turbulence de sillage). Ces normes peuvent être utilisées pour les arrivées comme pour les départs.
Les mesures d’évitement des turbulences de sillage
Les stratégies suivantes peuvent être utilisées pour réduire la possibilité d’une rencontre de turbulence de sillage.
Éviter les turbulences de sillage en croisière
Un léger déplacement latéral par rapport à l’aéronef générateur de turbulences permet de les éviter. Dans ce cas, un changement de cap peut être directement négocié avec l’ATC. Les turbulences peuvent également être évitées verticalement changeant sensiblement l’altitude de croisière, vers le haut ou le bas. Comme nous l’avons vu, il est peu probable que le sillage descende de plus de 1000 pieds avant de perdre la majeure partie de sa force. Il n’est donc pas nécessaire de descendre ou à monter à plus de 1000 pieds en-dessous ou au-dessus du niveau de croisière de l’avion générateur.
Par conséquent, il convient de choisir une des trois stratégies suivantes pour éviter une rencontre avec des turbulences de sillage en vol :
1. Un niveau de croisière au-dessus de l’altitude de croisière de l’avion générateur
2. Garder le même niveau de croisière lorsque les turbulences sont descendantes
3. Descendre à une altitude de croisière à plus de 1000 pieds en-dessous de l’avion générateur
Éviter les turbulences de sillage lors des phases de montée et de descente
Il peut être plus difficile de détecter le traffic et de prévoir le risque de rencontre avec des turbulences de sillage lors des phases de montée ou de descente. Cependant, si le trafic est identifié, une bonne règle de base est de rester au même niveau ou au-dessus de l’avion précédent afin d’éviter complètement les turbulences. Si ce n’est pas possible, un déplacement latéral est la stratégie la plus efficace.
Éviter les turbulences de sillage lors de l’approche finale
L’évitement des turbulences de sillage en approche finale se fait par l’ATC qui s’assure que l’espacement minimal est respecté conformément aux normes de l’OACI ou des normes spécifiques au pays. Lors d’une approche visuelle, le pilote est responsable lui-même de la séparation avec l’avion le précédent.
Éviter les turbulences de sillage dans le cas de pistes parallèles
Lors d’une phase d’approche sur une piste parallèle, les pilotes doivent se tenir au courant de tout trafic en approche sur l’autre piste parallèle ainsi que la direction et la force du vent. Les pilotes doivent anticiper une rencontre possible avec une turbulence de sillage. Les conseils pour éviter cette rencontre sont cependant les mêmes que pour une approche fréquente sur une piste unique: rester sur la trajectoire d’approche finale et surveiller la distance avec le trafic précédent.
Reprendre le contrôle dans une turbulence de sillage
Jetons un coeil d’oeil aux techniques d’échappement et de récupération recommandées après une rencontre avec une turbulence de sillage. Certaines erreurs courantes doivent être évitées pour assurer la sécurité du vol et des passagers.
Recommandations générales face à une turbulence de sillage
Airbus et Boeing ont des reccomandations très similaires en ce qui concerne les rencontres avec des turbulences de sillage:
• N’utilisez pas la gouverne de direction: Une action sur la gouverne de direction ne réduira pas la gravité de la rencontre et n’aidera pas non plus à la récupération. L’utilisation de la gouverne de direction a été identifiée comme une action ayant détériorée la situation plutôt que de l’améliorer.
• Laissez le pilote automatique engagé: Si le pilote automatique est engagé, laissez-le engagé comme première ligne de défense. Les systèmes de pilote automatique modernes sont bien équipés pour gérer les perturbations de roulis et de tangage associées à un événement de turbulence de sillage. Cependant, si les performances du pilote automatique ne sont pas satisfaisantes, les pilotes doivent prendre le contrôle manuel de l’avion.
Pour les avions Airbus, si une récupération manuelle est nécessaire, Airbus recommande de lâcher les commandes, permettant à l’avion de se stabiliser tout seul, puis d’appliquer des mesures de récupération. Cela permet d’éviter les oscillations induites par le pilote (PIO).
La maîtrise du roulis
Un avion qui rencontre une turbulence de sillage subit une variation d’altitude, une contrainte inhabituel sur la structure ainsi qu’un roulis induit.
Le plus grave danger pour un avion est le roulis induit car, si les ailerons de l’avion sont pris dans les tourbillons (ce qui dépend du diamètre des tourbillons et de l’envergure du suiveur), l’action en butée sur les commandes peut ne pas suffire à contrer ce roulis : il s’ensuit une perte de contrôle de l’avion. La capacité d’un avion à contrer ce mouvement de roulis imposé par le vortex dépend principalement de son envergure et de la réactivité des actions sur les commandes pour contrer le roulis.
Les actions sur les commandes pour contrer le roulis sont souvent efficaces et induisent un roulis minimal dans les cas où l’envergure et les ailerons de l’aéronef s’étendent au-delà du champ d’écoulement rotationnel du vortex. Il est plus difficile pour les aéronefs à faible envergure (par rapport à l’aéronef générateur de vortex) de contrer le roulis imposé. Les pilotes d’aéronefs avec une courte envergure doivent être particulièrement attentifs aux rencontres des turbulences de sillage.